Page:Œuvres de Robespierre.djvu/192

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libre vienne révéler le secret de leur nullité ou de leur corruption ; qui sentent que, pour tromper ou pour asservir leur patrie, il faut avant tout réduire au silence les écrivains courageux qui peuvent la réveiller de sa funeste léthargie, à peu près comme on égorge les sentinelles avancées pour surprendre le camp ennemi ! ce sont tous ceux enfin qui veulent être impunément faibles, ignorans, traîtres ou corrompus. Je n’ai jamais ouï dire que Caton, traduit cent fois en justice, ait poursuivi ses accusateurs ; mais l’histoire m’apprend que les décemvirs à Rome firent des lois terribles contre les libelles.

C’est en effet uniquement aux hommes que je viens de peindre qu’il appartient d’envisager avec effroi la liberté de la presse ; car ce serait une grande erreur de penser que, dans un ordre de choses paisible où elle est solidement établie, toutes les réputations soient en proie au premier qui veut les détruire.

Que sous la verge du despotisme, où l’on est accoutumé à entendre traiter de libelles les justes réclamations de l’innocence outragée et les plaintes les plus modérées de l’humanité opprimée, un libelle même digne de ce nom soit adopté avec empressement et cru avec facilité, qui pourrait en être surpris ? Les crimes du despotisme et la corruption des mœurs rendent toutes les inculpations si vraisemblables ! Il est si naturel d’accueillir comme une vérité un écrit qui ne parvient à vous qu’en échappant aux inquisitions des tyrans ! Mais sous le régime de la liberté, croyez-vous que l’opinion publique, accoutumée à la voir s’exercer en tous sens, décide en dernier ressort de l’honneur des citoyens sur un seul écrit, sans peser ni les circonstances, ni les faits, ni le caractère de l’accusateur, ni celui de l’accusé. Elle juge en général et jugera surtout alors avec équité ; souvent même les libelles seront des titres de gloire pour ceux qui en seront les objets, tandis que certains éloges ne seront à ses yeux qu’un opprobre ;