Ces gens dont vous parlez sont apparemment des hommes qui vivent, qui subsistent au sein de la société, sans aucun moyen de vivre et de subsister. Car s’ils sont pourvus de ces moyens-là, ils ont, ce me semble, quelque chose à perdre où à conserver. Oui, les grossiers habits qui me couvrent, l’humble réduit où j’achète le droit de me retirer et de vivre en paix ; le modique salaire avec lequel je nourris ma femme, mes enfants ; tout cela, je l’avoue, ce ne sont point des terres, des châteaux, des équipages ; tout cela s’appelle rien, peut-être, pour le luxe et pour l’opulence, mais c’est quelque chose pour l’humanité ; c’est une propriété sacrée, aussi sacrée sans doute que les brillants domaines de la richesse.
Que dis-je ! ma liberté, ma vie, le droit d’obtenir sûreté ou vengeance pour moi et pour ceux qui me sont chers, le droit de repousser l’oppression, celui d’exercer librement toutes les facultés de mon esprit et de mon cœur ; tous ces biens si doux, les premiers de ceux que la nature a départis à l’homme, ne sont-ils pas confiés, comme les vôtres, à la garde des lois ? Et vous dites que je n’ai point d’intérêt à ces lois ; et vous voulez me dépouiller de la part que je dois avoir, comme vous, dans l’administration de la chose publique, et cela par la seule raison que vous êtes plus riches que moi ! Ah ! si la balance cessait d’être égale, n’est-ce pas en faveur des citoyens les moins aisés qu’elle devrait pencher ? Les lois, l’autorité publique n’est-elle pas établie pour protéger la faiblesse contre l’injustice et l’oppression ? C’est donc blesser tous les principes sociaux, que de la placer tout entière entre les mains des riches.
Mais les riches, les hommes puissants ont raisonné autrement. Par un étrange abus des mots, ils ont restreint à certains objets l’idée générale de propriété ; ils se sont appelés seuls propriétaires ; ils ont prétendu que les propriétaires seuls étaient dignes du nom de citoyen ; ils ont