Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/13

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sable. Mais les théologiens laissent loin derrière eux les poètes eux-mêmes. Écoutons Schleiermacher :

« Sacrifiez avec moi une boucle de cheveux aux mânes du saint et méconnu Spinoza ! Le sublime esprit du monde le pénétra ; l’infini fut son commencement et sa fin, l’universel son unique et éternel amour ; vivant dans une sainte innocence et dans une humilité profonde, il se mira dans le monde éternel et il vit que lui aussi était pour le monde un miroir digne d’amour ; il fut plein de religion et plein de l’Esprit saint ; aussi nous apparaît-il solitaire et non égalé, maître en son art, mais élevé au-dessus du profane, sans disciples et sans droit de bourgeoisie. »

Sur un ton plus sérieux, les maîtres de la philosophie allemande rendent à Spinoza les mêmes hommages. « La pensée, dit Hegel, doit absolument s’élever au niveau du spinozisme avant de monter plus haut encore. Voulez-vous être philosophes ? commencez par être spinozistes ; vous ne pouvez rien sans cela. Il faut avant tout se baigner dans cet éther sublime de la substance unique, universelle et impersonnelle, où l’âme se purifie de toute particularité et rejette tout ce qu’elle avait cru vrai jusque-là, tout, absolument tout. Il faut être arrivé à cette négation, qui est l’émancipation de l’esprit[1]. »

Que penser de ce jugement, et en général de ces transports d’admiration que le spinozisme inspire à l’Allemagne contemporaine ? Spinoza est-il un matérialiste ou un mystique ? faut-il l’appeler avec Bayle un athée de système, ou dire avec Novalis qu’il était ivre de Dieu ? Du xviie siècle qui l’a maudit et du nôtre qui l’exalte, qui a rai-

  1. Hegel, Geschichte der Philosophie, tome III, pag. 374 sqq.