Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/39

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Substance n’eût qu’un certain nombre de modes, cet attribut ne serait pas infini, puisqu’il pourrait être épuisé ; il y a contradiction, par exemple, qu’un certain nombre d’idées épuise l’essence infinie de la Pensée, qu’une étendue infinie soit exprimée par une certaine grandeur corporelle, si prodigieuse qu’on la suppose.

La pensée infinie doit donc se développer par une infinité inépuisable d’idées, et l’étendue infinie ne peut être exprimée dans sa perfection et sa totalité que par une variété infinie de grandeurs, de figures et de mouvements.

Ainsi donc, du sein de la Substance s’écoulent nécessairement une infinité d’attributs, et du sein de chacun de ces attributs s’écoulent nécessairement une infinité de modes. Les attributs ne sont pas séparés de la Substance, les modes ne le sont point des attributs. Le rapport de l’attribut à la Substance est le même que celui du mode à l’attribut ; tout s’enchaîne sans se confondre, tout se distingue sans se séparer. Une loi commune, une proportion constante, un lien nécessaire retiennent éternellement distincts et éternellement unis la Substance, l’Attribut et le Mode ; et c’est là l’Être, la Réalité, Dieu.

Voilà l’idée-mère de la métaphysique de Spinoza. On ne peut nier que ce vigoureux génie ne l’ait développée avec puissance dans un riche et vaste système, mais il s’y est épuisé et n’a jamais dépassé l’horizon qu’elle lui traçait.

Ce qu’on doit surtout remarquer dans cette première esquisse du système, c’est l’effort de Spinoza pour n’y laisser pénétrer aucun élément empirique, aucune donnée de la conscience et des sens ; tout y est, à ce qu’il lui semble, strictement rationnel, nécessaire, absolu.

Cette sévérité dans la déduction (à laquelle Spinoza n’a