Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/40

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pas toujours été fidèle) lui était imposée par la méthode qu’il avait choisie ; elle consiste, comme on l’a vu, à se dégager des impressions passives et confuses des sens, des fausses clartés dont l’imagination nous abuse et nous séduit, pour s’élever, par l’activité interne de la pensée, à la région des idées claires, et pénétrer d’idée en idée jusqu’à l’idée suprême, l’idée de l’Être parfait. Parvenu à ce sommet des intelligibles, le philosophe doit y saisir d’une main ferme les premiers anneaux de la chaîne des êtres, et en parcourir successivement tous les anneaux inférieurs, sans jamais lâcher prise, jusqu’à ce que l’ordre entier des choses soit clair à ses yeux.

L’expérience n’a rien à faire ici[1] ; elle ne pourrait que troubler de ses ténèbres la pureté de l’intuition intellectuelle et arrêter, par la force de ses impressions et la séduction de ses prestiges, le progrès de la déduction métaphysique. Comme la dialectique platonicienne, la méthode de Spinoza exclut toute donnée sensible ; elle part des idées, poursuit avec les idées, et c’est encore par les idées qu’elle s’achève et s’accomplit[2].


Si Spinoza n’avait pas eu le dessein prémédité de se passer de l’expérience, si, pour ainsi parler, il ne s’était pas mis un bandeau devant les yeux pour n’y point regarder, aurait-il construit le système entier des êtres avec ces trois seuls éléments la Substance, l’Attribut et le Mode ?

Certes, s’il est une réalité immédiatement observable pour l’homme, une réalité dont il ait le sentiment éner-

  1. De la Réforme de l’Entendement, tome III, pages 306, 307.
  2. Comparez Spinoza, De la Réforme de l’Entendement, pages 308-312, et Platon, République, Livre VI.