Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/43

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l’endroit précis où la rigueur du raisonnement était en défaut, le paralogisme contenu dans la démonstration[1]. Malebranche éludait la question et ne pouvait assigner le paralogisme de Spinoza. C’est que ce paralogisme n’est pas dans tel ou tel endroit de l’Éthique, il est partout. Spinoza disposait d’une puissance de déduction vraiment incomparable, et à bien peu d’exceptions près, chacune de ses propositions, prise en soi, est d’une rigueur parfaite. Ce bourgeois de Rotterdam qui s’enflamma soudain d’une si belle ardeur pour la philosophie, ayant voulu, pour réfuter Spinoza, se mettre à sa place et faire sur lui-même l’épreuve de la force de ses raisonnements, se trouva pris au piége ; le tissu de théorèmes où il s’était enfermé volontairement se trouva impénétrable, et il ne put plus s’en dégager[2].

Le système de Spinoza est une vaste conception fondée sur un seul principe qui contient en soi tous les développements que la logique la plus puissante y découvrira. La forme géométrique ne doit point ici faire illusion. Spinoza démontre sa doctrine, si l’on veut, mais il la démontre sous la condition de certaines données qui au fond la supposent et la contiennent. C’est un cercle vicieux perpétuel ; ou pour mieux dire, au lieu d’une démonstration de son système, Spinoza s’en donne sans cesse à lui-même le spectacle, et il ne nous en présente dans son Éthique que le régulier développement.

Déjà les premières définitions le contiennent tout entier. C’est qu’en effet les définitions pour Spinoza ne sont point des conventions verbales, des signes arbitraires,

  1. Voyez la Correspondance de Malebranche avec Dortous de Mairan publiée pour la première fois par M. Feuillet de Conches, in-8o, 1841.
  2. Voyez Bayle, Dict, crit., art. Spinoza. Comp. Leibnitz, Théodicée, partie III, § 373.