Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/65

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Newton. Le vide est une chimère absurde enfantée par l’imagination prise au dépourvu ; tout est plein[1], car là où il y a de l’étendue, et il y en a partout, il y a aussi des corps ; que les sens les aperçoivent ou non, peu importe, c’est une question qui ne les regarde pas. Se servir, en pareil cas, de l’imagination, c’est, dit Spinoza, vouloir faire servir l’imagination à nous rendre déraisonnable[2]. Les corps sont donc de purs phénomènes, de simples déterminations de l’Espace pur, des manifestations fugitives d’un fond qui seul est durable et subsistant. Cet invisible fond, c’est l’Étendue. L’Étendue est donc réelle comme les corps, et infiniment plus réelle encore. Réelle et infinie, l’Étendue manifeste Dieu, elle est Dieu même.

Reste une dernière difficulté.

On dira qu’il est possible de concevoir l’Étendue comme divisée en deux parties, et on demandera si chacune de ces parties sera finie ou infinie. Dans le premier cas, l’infini se composera de deux parties finies, ce qui est absurde. Dans le second cas, on aura un infini double d’un autre infini, ce qui est également absurde.

Spinoza répond en niant positivement que l’Étendue puisse se concevoir comme divisée, autrement que par un acte de l’imagination ; mais par la raison, cela est impossible. L’Étendue est essentiellement une ; elle ne se compose point de parties, pas plus qu’une ligne géométrique ne se compose d’un certain nombre de points : concevoir l’Étendue divisée, c’est donc en détruire l’es-

  1. De Dieu, Schol. de la Propos. 15.
  2. Éthique, 1, Propos. 15, Schol.