Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

titre, quoique éternel et infini, se rapporte à la Nature naturée[1]. La pensée divine est donc absolument indéterminée, et son objet, c’est l’Être absolument indéterminé, la Substance en soi, dégagée de ses attributs, qui déjà la déterminent en la développant.

Si telle est la nature, si tel est l’objet de la pensée divine, qu’a-t-elle à voir avec l’entendement des hommes ? L’entendement en général est une détermination de la Pensée, et toute détermination est une négation[2]. Or, il n’y a pas de place pour la négation dans la plénitude de la Pensée.

Pour Spinoza, l’entendement humain n’est rien de plus qu’une suite de modes de la Pensée, ou, comme il dit encore, une idée composée d’un certain nombre d’idées. Supposer dans l’âme humaine, au delà des idées qui la constituent, une puissance, une faculté de les produire, c’est réaliser des abstractions. Tout l’être de l’entendement est compris dans les idées, comme tout l’être de la volonté s’épuise dans les volitions. La volonté en général, l’entendement en général sont des êtres de raison, et si on les réalise, des chimères absurdes, des entités scolastiques, comme l’humanité ou la pierréité[3].

Or, il est trop clair que la pensée de Dieu ne peut être une suite déterminée d’idées ; si donc l’on attribue à Dieu un entendement, il faut le supposer infini. Mais qu’est-ce qu’un entendement infini ? une suite infinie d’idées. Concevoir ainsi la pensée de Dieu, c’est la dégrader ; car c’est lui imposer la condition du développe-

  1. De Dieu, Propos. 31. — Comp. Lettre à Simon de Vries, tome III, page 378 et suiv.
  2. Lettres, tome III.
  3. De l’Âme, Scholie de la Propos. 48.