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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

Moïse n’avait plus aucune raison de croire que les Israélites fussent chéris de Dieu plus que les autres nations, que Dieu livre aussi aux soins de ses anges. C’est ce qui résulte clairement du verset 16 de ce même chapitre. Enfin, comme on croyait alors que Dieu habite dans le ciel, Dieu se révélait en descendant du ciel sur la montagne, et Moïse gravissait la montagne pour parler à Dieu ; précaution parfaitement inutile, s’il avait été capable d’imaginer Dieu en tout lieu avec une égale facilité. En général, les Israélites ne savaient presque rien de Dieu, bien qu’il se fût révélé à eux ; et ils firent bien voir leur extrême ignorance en transportant à un veau les mêmes honneurs et le même culte qu’ils avaient rendu à Dieu quelques jours auparavant, et en s’imaginant que c’étaient là les dieux qui les avaient tirés d’Égypte.

Et certes on aurait grand tort de croire que des hommes accoutumés aux superstitions égyptiennes, grossiers, misérables, aient eu quelque idée saine de Dieu, ni que Moïse leur ait enseigné autre chose que la manière de bien vivre, non en philosophe et par la liberté de l’âme, mais en législateur et par la force de la loi. La règle de la vie vertueuse, c’est-à-dire la vie véritable, le culte et l’amour de Dieu, furent donc pour eux une servitude, bien plutôt qu’une vraie liberté, une grâce et un don de Dieu. Il leur ordonne en effet d’aimer Dieu et d’observer la loi, afin de rendre ainsi grâce à Dieu des biens qu’il leur a rendus (la liberté, que les Égyptiens leur avaient ravie), les effrayant par des menaces terribles, s’ils transgressaient ses ordres, et leur promettant, s’ils y étaient dociles, une foule de biens. C’était, comme on voit, leur enseigner la vertu comme les pères font aux enfants encore privés de raison. Il est donc parfaitement certain qu’ils ignoraient l’excellence de la vertu et la véritable béatitude. Jonas crut échapper à la présence de Dieu, ce qui fait croire qu’il pensait aussi que Dieu avait laissé le soin de toutes les contrées placées hors de la Judée à d’autres puissances déléguées par lui. Certes personne,