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TRAITÉ

prudence vous gardera. » Tout cela est parfaitement d’accord avec la science naturelle ; car ce n’est qu’après avoir connu la nature des choses et déjà goûté l’excellence de la science qu’il est possible de poser les bases de la morale et de comprendre la véritable vertu. Nous pouvons également confirmer par les paroles de Salomon ce principe, que le bonheur et la tranquillité de l’homme voué à la culture de l’intelligence dépendent moins de la fortune (c’est-à-dire du secours extérieur de Dieu) que de sa vertu intérieure (c’est-à-dire du secours intérieur de Dieu), en d’autres termes, que c’est surtout par la vigilance, l’action et le bon conseil qu’il parvient à se conserver.

Je ne dois point passer ici sous silence un passage de Paul, dans le chap. Ier, vers. 20, de l’Épître aux Romains, où il est dit (je me sers de la traduction donnée par Tremellius d’après le texte syriaque) : « Les profondeurs invisibles de Dieu, sa puissance et sa divinité éternelles, sont devenues visibles dans ses créatures depuis le commencement du monde, et ainsi ceux qui ne les voient pas sont inexcusables. » C’est dire, ce me semble, assez clairement que tout homme comprend par la lumière naturelle la force et la divinité éternelles de Dieu, et peut déduire de cette connaissance ce qu’il doit faire et ce qu’il doit éviter ; d’où Paul tire la conclusion que tout homme qui ne suit point cette lumière est inexcusable et ne peut prétexter son ignorance. Or il en serait tout autrement si Paul entendait parler d’une connaissance surnaturelle de Dieu, de la passion et de la résurrection du Christ selon la chair, et autres vérités semblables. Aussi le voyons-nous poursuivre en ces termes (vers. 24) : « C’est pourquoi Dieu les a abandonnés à l’immonde concupiscence de leur cœur. » Et il continue ainsi jusqu’à la fin du chapitre à décrire les vices qui naissent de l’ignorance et qui en sont la punition. Or cette doctrine s’accorde à merveille avec ce proverbe de Salomon déjà cité (chap. xvi, vers. 22) : « Le supplice des esprits aveuglés, c’est leur aveuglement