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TRAITÉ

traiter le second point de ce chapitre, et faire voir sous quel rapport il est nécessaire de croire aux récits historiques contenus dans l’Écriture. Or, pour éclaircir cette matière par la lumière naturelle, je crois qu’il faut procéder comme il suit.

Quiconque aspire à persuader les hommes et prétend leur faire embrasser une doctrine qui n’est pas évidente d’elle-même est tenu de s’appuyer sur une autorité incontestée, comme l’expérience ou la raison ; il doit invoquer le témoignage des faits que les hommes ont constatés par les sens, ou bien partir de principes intellectuels, d’axiomes immédiatement évidents. Mais il faut observer, quand on se sert de preuves fondées sur l’expérience, que si elles ne sont point accompagnées d’une intelligence claire et distincte des faits, on pourra bien alors convaincre les esprits, mais il sera impossible, surtout en matière de choses spirituelles et qui ne tombent pas sous les sens, de porter dans l’entendement cette lumière parfaite qui entoure les axiomes, lumière qui dissipe tous les nuages, parce qu’elle a sa source dans la force même de l’entendement et dans l’ordre de ses perceptions. D’un autre côté, comme il faut le plus souvent, pour déduire les choses des seules notions intellectuelles, un long enchaînement de perceptions, et en outre une prudence, une pénétration d’esprit et une sagesse fort rares, les hommes aiment mieux s’instruire par l’expérience que déduire toutes leurs perceptions, en les enchaînant l’une à l’autre, d’un petit nombre de principes. Que résulte-t-il de là ? c’est que quiconque veut persuader une doctrine aux hommes et la faire comprendre, je ne dis pas du genre humain, mais d’une nation entière, doit l’établir par la seule expérience, et mettre ses raisons et ses définitions à la portée du peuple, qui fait la plus grande partie de l’espèce humaine ; autrement, s’il s’attache à enchaîner ses raisonnements et à disposer ses définitions dans l’ordre le plus convenable à la liaison rigoureuse des idées, il