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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

plus chère à Dieu que toutes les autres, que Dieu a tout créé pour elle, et qu’il dirige tout vers cet unique dessein. Voilà l’excès d’arrogance où la stupidité du vulgaire s’est portée. Dans la grossièreté de ses idées touchant Dieu et la nature, il confond les volontés de Dieu avec les désirs des hommes, et se représente la nature si bornée que l’homme en est la partie principale. Mais c’est assez parler des opinions et des préjugés du vulgaire sur la nature et les miracles ; j’arrive aux quatre principes que je me propose de démontrer ici dans l’ordre suivant. 1° J’établirai d’abord que rien n’arrive contre l’ordre de la nature, et qu’elle suit sans interruption un cours éternel et immuable ; j’expliquerai en même temps ce qu’il faut entendre par miracle. 2° Je prouverai que ce ne sont point les miracles qui peuvent nous faire connaître l’essence et l’existence de Dieu, ni par conséquent sa providence, toutes ces vérités se comprenant beaucoup mieux par l’ordre constant et immuable de la nature. 3° Je prouverai par plusieurs exemples tirés de l’Écriture que l’Écriture elle-même n’entend rien autre chose par les décrets, les volontés de Dieu, et conséquemment par sa providence, que l’ordre même de la nature qui résulte nécessairement de ses éternelles lois. 4° Je traiterai en dernier lieu de la manière d’interpréter les miracles de l’Écriture, et marquerai les points principaux qu’il convient de considérer dans le récit de ces miracles. Tels sont les divers objets qui feront la matière du présent chapitre, et, si je ne me trompe, il n’en est pas un qui ne doive beaucoup servir au dessein que je me propose dans tout cet ouvrage.

Pour établir mon premier principe, il me suffit de rappeler ce que j’ai démontré au chap. iv, sur la loi divine, savoir : que tout ce que Dieu veut ou détermine enveloppe une nécessité et une vérité éternelles. L’entendement de Dieu ne se distinguant pas, nous l’avons prouvé, de sa volonté, dire que Dieu veut une chose ou dire qu’il la pense, c’est affirmer exactement la même chose. En