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TRAITÉ

sons alors d’autant mieux Dieu et sa volonté que nous pénétrons plus avant dans la connaissance des choses naturelles, que nous les voyons dépendre plus étroitement de leur première cause, et se développer suivant les éternelles lois qu’elle a données à la nature. Il suit de là qu’au regard de notre intelligence, les phénomènes que nous comprenons clairement et distinctement méritent bien plutôt qu’on les appelle ouvrages de Dieu et qu’on les rapporte à la volonté divine que ces miracles qui nous laissent dans une ignorance absolue, bien qu’ils occupent fortement l’imagination des hommes et les frappent d’étonnement et d’admiration ; car enfin, il n’y a dans la nature que les choses dont nous avons une connaissance claire et distincte qui nous élèvent à une connaissance plus sublime de Dieu, et nous manifestent en traits éclatants sa volonté et ses décrets. C’est donc véritablement se jouer, quand on ignore une chose, que de recourir à la volonté de Dieu ; on ne fait par là que confesser très-ridiculement son ignorance. Un miracle, en effet, n’étant jamais qu’une chose limitée, et n’exprimant par conséquent qu’une puissance également limitée, il est certainement impossible de remonter d’un effet de cette nature à l’existence d’une cause infiniment puissante ; tout au plus a-t-on le droit de conclure qu’il existe une cause plus grande que l’effet produit. Je dis tout au plus, car il peut arriver que, par le concours de plusieurs causes, un effet se produise, dont la puissance, tout en restant inférieure à celle de toutes ces causes réunies, soit très-supérieure à la force de chacune d’elles. Au contraire, les lois de l’univers, ainsi que nous l’avons déjà montré, s’étendant à une infinité d’objets et se faisant concevoir sous un certain caractère d’éternité, la nature qui se développe, en suivant ces lois, dans un ordre immuable, est pour nous comme une manifestation visible de l’infinité, de l’éternité et de l’immutabilité de Dieu. Concluons donc que les miracles ne nous font nullement connaître Dieu, ni son existence, ni sa providence, mais