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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

dition est extrêmement incertaine, et l’infaillibilité du pape fort mal appuyée, on ne peut rien fonder de bien solide sur aucune de ces deux autorités, l’une qui a été niée par les plus anciens d’entre les chrétiens, l’autre que les plus anciennes sectes juives n’ont jamais reconnue. J’ajoute (pour ne rien dire de plus) que si l’on regarde à la suite des années, telle que les pharisiens l’ont recueillie de leurs rabbins, et par laquelle ils font remonter leurs traditions jusqu’à Moïse, on la trouve entièrement fausse, ainsi que nous le prouverons ailleurs. Il faut donc tenir cette tradition pour très-suspecte. Et bien que dans notre méthode nous soyons forcés de supposer quelque tradition des Juifs comme incorruptible, savoir, la signification des mots de la langue hébraïque qui nous ont été transmis par eux, cela ne nous oblige pas d’admettre aucune autre tradition. Si en effet il arrive souvent qu’on altère le sens d’un discours, il ne peut en être habituellement de même pour la signification d’un mot. Ici, en effet, on rencontrerait des difficultés insurmontables, puisqu’il faudrait interpréter tous les auteurs qui ont écrit dans la même langue et se sont servis du même mot dans son sens usuel ; il faudrait, dis-je, interpréter chacun de ces auteurs conformément à son génie et à ses sentiments particuliers, ou bien altérer complètement sa pensée avec une adresse et des précautions infinies. D’ailleurs le vulgaire et les doctes n’ont qu’une même langue, au lieu que ceux-ci sont seuls dépositaires du sens d’un discours et des livres ; ce qui fait bien comprendre que les savants aient pu aisément altérer ou corrompre le sens d’un livre très-rare qu’ils avaient seuls entre les mains, tandis qu’ils n’ont jamais pu changer la signification des mots. Ajoutez à cela que si quelqu’un voulait altérer le sens d’un mot pour lui donner un nouveau sens, il aurait bien de la peine à s’y astreindre chaque fois qu’il aurait besoin de ce mot, soit en parlant, soit en écrivant. Concluons donc, par toutes ces raisons et une foule d’autres semblables, qu’il n’est jamais venu