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XXII
la vie de spinoza.

sorti avec de meilleurs sentiments. C’est la disposition où j’espère qu’il était lorsque je le vis ici à la Haye, l’été dernier, où il vint pour demander aux libraires le payement de quelques livres qu’il avait ci-devant imprimés et qu’il leur avait livrés.

Pour revenir à Spinoza et à son Tractatus theologico-politicus, je dirai ce que j’en pense, après avoir auparavant rapporté le jugement qu’en ont fait deux célèbres auteurs, dont l’un est de la confession d’Augsbourg et l’autre réformé. Le premier est Spitzelius, qui parle ainsi dans son Traité qui a pour titre Infelix literator, page 363 : « Cet auteur impie (Spinoza), par une présomption prodigieuse qui l’aveuglait, a poussé l’impudence et l’impiété jusqu’à soutenir que les prophéties ne sont fondées que sur l’imagination des prophètes, qu’ils étaient sujets à illusion aussi bien que les apôtres, et que les uns et les autres avaient écrit naturellement suivant leurs propres lumières, sans aucune révélation ni ordre de Dieu ; qu’ils avaient, au reste, accommodé la religion autant qu’ils avaient pu au génie des hommes qui vivaient alors, et l’avaient établie sur des principes connus en ces temps-là et reçus favorablement d’un chacun. Irreligiosissimus auctor, stupenda sui fidentia plane fascinatus, eo progressus impudentiæ et impietatis fuit, ut prophetiam dependisse dixerit a fallaci imaginatione prophetarum, eosque pariter ac apostolos non ex revelatione et divino mandato scripsisse, sed tantum ex ipsorummet naturali judicio ; accommodavisse insuper religionem, quoad fieri potuerit, hominum sui temporis ingenio, illamque fundamentis tum temporis maxime notis et acceptis superædificasse. » C’est cette même méthode que Spinoza, dans son Tractatus theologico-politicus, prétend qu’on peut et qu’on doit même suivre encore à présent dans l’explication de l’Écriture sainte ; car il soutient, entre autres choses, que « comme on s’est conformé aux sentiments établis et à la portée du peuple lorsqu’on a premièrement produit l’Écriture, de même il est à la liberté d’un chacun de l’expliquer selon ses lumières ; et de l’ajuster à ses propres sentiments. »

Si c’était véritable, bon Dieu ! où en serions-nous ? Comment pouvoir maintenir que l’Écriture est divinement inspirée, que c’est une prophétie ferme et stable, que ces saints personnages qui en sont les auteurs n’ont parlé et écrit que par ordre de Dieu et par l’inspiration du Saint-Esprit, que cette même Écriture est