Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux Israélites du haut du mont Sinaï. Car, quoique cette voix que les Israélites entendirent n’ait pu donner à ces hommes aucune certitude philosophique ou mathématique de l’existence de Dieu, elle suffisait cependant pour les ravir en admiration, selon l’idée qu’ils avaient eue de Dieu auparavant, et pour les porter à l’obéissance, ce qui était d’ailleurs le but de ce merveilleux spectacle. En effet, Dieu n’avait pas l’intention d’instruire les Israélites des attributs absolus de son essence (car, à ce moment, il ne leur en révéla rien), mais de dompter leur esprit opiniâtre et de les réduire à l’obéissance ; aussi n’est-ce pas avec des raisons qu’il les aborda, mais au bruit des trompettes, au fracas du tonnerre et aux éclairs de la foudre (voyez Exode, chap. XX, vers. 20).

Il nous reste à faire voir enfin qu’entre la foi ou la théologie et la philosophie il n’y a aucun commerce ni aucune affinité ; et c’est un point que ne peut ignorer quiconque connaît le but et le fondement de ces deux puissances, qui certainement sont d’une nature absolument opposée. Car la philosophie n’a pour but que la vérité, tandis que la foi, comme nous l’avons surabondamment démontré, n’a en vue que l’obéissance et la piété. Ensuite les fondements de la philosophie sont des notions communes, et elle-même ne doit être puisée que dans la nature, tandis que les fondements de la foi sont les histoires et la langue, et elle-même ne doit être cherchée que dans l’Écriture et dans la révélation, comme nous l’avons fait voir au chapitre VII. Ainsi la foi donne à tout le monde la liberté pleine et entière de philosopher à son gré, afin que chacun puisse sans crime penser sur toutes choses ce qui lui semble convenable ; elle ne condamne comme hérétiques et schismatiques que ceux qui enseignent des opinions capables de porter à la rébellion, à la haine, aux disputes et à la colère ; elle ne répute fidèles que ceux qui conseillent, de toute la force de leur raison et de leurs facultés, l’esprit de justice et de charité. Enfin, puisque les idées que nous exposons ici sont le