Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/333

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soumis par droit de religion. Et c’est là, à mon avis, le droit dont jouit le souverain, qui peut, il est vrai, consulter les hommes, mais qui n’est tenu de reconnaître d’autre arbitre du droit que le prophète expressément envoyé par Dieu et qui aura prouvé sa mission par des signes indubitables. Or, dans cette circonstance, ce n’est pas un homme, mais Dieu lui-même, qu’il est obligé de reconnaître pour arbitre. Que si le souverain refuse d’obéir à Dieu et de reconnaître le droit révélé, il le peut à ses risques et périls, sans qu’aucun droit civil ou naturel s’y oppose. Le droit civil ne dépend en effet que du décret du souverain. Mais le droit naturel dépend des lois de la nature, lesquelles, loin d’être bornées à la religion, qui ne se propose que l’utilité du genre humain, embrassent l’ordre de la nature entière, c’est-à-dire sont fixées par un décret éternel de Dieu qui nous est inconnu. C’est ce que semblent avoir obscurément aperçu ceux qui ont pensé que l’homme peut bien pécher contre la volonté de Dieu qui nous est révélée, mais non contre le décret éternel par lequel il a prédéterminé toutes choses. Si l’on nous demandait maintenant ce qu’il faudrait faire dans le cas où le souverain nous donnerait un commandement contraire à la religion et à l’obéissance que nous avons promise à Dieu, que répondrions-nous ? faudrait-il obéir à la volonté de Dieu ou à celle des hommes ? Voulant plus tard approfondir cette matière, je me bornerai à répondre ici en peu de mots que nous devons avant tout obéir à Dieu, lorsque nous avons une révélation certaine et indubitable de sa volonté. Mais comme en fait de religion, les hommes tombent ordinairement dans de grandes erreurs, et que selon la diversité de leur génie ils imaginent bien des chimères (l’expérience ne le prouve que trop), il est certain que si personne n’était tenu de droit d’obéir au souverain en ce qu’il croit appartenir à la religion, il en résulterait que le droit public dépendrait du jugement et de la fantaisie de chacun : nul en effet ne serait obligé de se soumettre à un droit qu’il jugerait