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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/37

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qui fut alors le samedi devant les jours gras, son hôte et sa femme furent entendre la prédication qu’on fait dans notre église pour disposer un chacun à recevoir la communion qui s’administre le lendemain selon une coutume établie parmi nous. L’hôte étant retourné au logis après le sermon, à quatre heures ou environ, Spinoza descendit de sa chambre en bas, et eut avec lui un assez long entretien qui roula particulièrement sur ce que le ministre avait prêché, et après avoir fumé une pipe de tabac il se retira à sa chambre, qui était sur le devant, et s’alla coucher de bonne heure. Le dimanche au matin, avant qu’il fût temps d’aller à l’église, il descendit encore de sa chambre, et parla avec l’hôte et sa femme. Il avait fait venir d’Amsterdam un certain médecin que je ne puis désigner que par ces deux lettres, L. M. ; celui-ci chargea les gens du logis d’acheter un vieux coq et de le faire bouillir aussitôt, afin que sur les midi Spinoza pût en prendre le bouillon, ce qu’il fit aussi, et en mangea encore de bon appétit après que l’hôte et sa femme furent revenus de l’église. L’après-midi le médecin L. M. resta seul auprès de Spinoza, ceux du logis étant retournés ensemble à leurs dévotions. Mais au sortir du sermon ils apprirent avec surprise que sur les trois heures Spinoza était expiré en la présence de ce médecin, qui, le soir même, s’en retourna à Amsterdam par le bateau de nuit sans prendre le moindre soin du défunt. Il se dispensa de ce devoir d’autant plus tôt qu’après la mort de Spinoza il s’était saisi d’un ducaton et de quelque peu d’argent que le défunt avait laissé sur sa table, aussi bien que d’un couteau à manche d’argent, et s’était retiré avec ce qu’il avait butiné.

On a rapporté fort diversement les particularités de sa maladie et de sa mort ; et cela a même fourni matière à plusieurs contestations. On débite : 1° que dans le temps de sa maladie il avait pris les précautions nécessaires pour n’être pas surpris par les visites de gens dont la vue ne pouvait que l’importuner ; 2° que ces propres paroles lui étaient sorties de la bouche une et même plusieurs fois : Ô Dieu, aie pitié de moi misérable pécheur ! 3° qu’on l’avait ouï souvent soupirer en prononçant le nom de Dieu. Ce qui ayant donné occasion à ceux qui étaient présents de lui demander s’il croyait donc à présent à l’existence d’un Dieu dont il avait tout sujet de craindre les jugements après sa mort, il avait répondu que le mot lui était échappé et n’était sorti de sa bouche que par coutume et par habitude. 4° On dit encore qu’il tenait auprès de soi