Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/383

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paroles de celui qui en est revêtu ? Et ne peut-on pas dire avec vérité que celui-là règne surtout sur les esprits qui dispose de cette autorité ? Vouloir donc l’enlever au souverain, c’est vouloir mettre la division dans l’État. Là est la source, comme autrefois entre les rois et les pontifes des Hébreux, de querelles et de discordes interminables. Il y a plus : celui qui s’efforce d’enlever cette autorité au souverain s’ouvre par là un chemin à la puissance absolue. Quels décrets pourra porter le souverain, si le droit dont il s’agit lui est refusé ? aucun, sans doute, ni touchant la guerre, ni touchant la paix, ni touchant toute autre chose, du moment qu’il lui faut prendre l’avis d’une autre autorité et apprendre d’elle si la mesure jugée utile est conforme ou non à la piété. Toutes choses, au contraire, ne dépendent-elles pas bien plutôt de la volonté de celui qui possède le droit de juger et de prononcer sur la piété et l’impiété, la justice et l’injustice ? L’histoire de tous les siècles est là pour nous fournir des exemples : j’en rapporterai un seul, qui tiendra lieu de tous les autres. Le pontife de Rome, qui disposait autrefois d’un droit absolu touchant les choses du culte, peu à peu parvint à ranger tous les rois sous son autorité, jusqu’à ce qu’un jour il atteignit jusqu’au faîte de l’empire. Dans la suite, malgré tous leurs efforts, les souverains, et surtout les empereurs d’Allemagne, ne purent réussir à diminuer son autorité, et loin de là, ils ne firent que l’accroître encore par leur impuissance. Ainsi donc, pour venir à bout de ce que les Romains n’avaient pu accomplir avec le fer et la flamme, des hommes d’Église n’eurent besoin que de leur plume ! Qu’on juge par là de la merveilleuse puissance du droit divin et de la nécessité de le remettre dans les mains du souverain ! Et même, pour peu que l’on veuille réfléchir aux remarques qui remplissent le précédent chapitre, on se convaincra que cette mesure n’est pas d’un médiocre avantage pour la religion et la piété. N’avons-nous pas vu ci-dessus que les prophètes eux-mêmes, les prophètes revêtus de la