Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/395

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avares, des flatteurs et autres gens sans vertu et sans énergie, qui font consister tout leur bonheur à contempler leur coffre-fort et à remplir leur estomac, mais de ces citoyens qui doivent à une bonne éducation, à l’intégrité et à la pureté de leurs mœurs, un esprit plus libéral et plus élevé. Les hommes sont ainsi faits, la plupart du temps, qu’il n’est rien qu’ils supportent avec plus d’impatience que de se voir reprocher des opinions qu’ils considèrent comme vraies, et imputer à crime ce qui au contraire anime et soutient leur piété envers Dieu et envers leurs semblables. Voilà ce qui fait que les hommes finissent par prendre les lois en horreur et par se révolter contre les magistrats ; voilà ce qui fait qu’ils ne considèrent pas comme une honte, mais comme une chose honorable, d’exciter des séditions et de tenter mille entreprises violentes pour un motif de conscience. Or, puisqu’il est constant que la nature humaine est ainsi faite, ne s’ensuit-il pas que les lois qui concernent les opinions s’adressent, non pas à des coupables, mais à des hommes libres, qu’au lieu de réprimer et de punir des méchants, elles ne font qu’irriter d’honnêtes gens, qu’enfin on ne saurait, sans mettre l’État en danger de ruine, prendre leur défense ? Ajoutez à cela que des lois de cette nature sont parfaitement inutiles. En effet, considère-t-on comme saines et vraies les opinions condamnées par les lois, on n’obéira pas aux lois ; repousse-t-on au contraire comme fausses ces mêmes opinions, on acceptera alors les lois qui les condamnent comme une sorte de privilège, et on en triomphera à ce point que les magistrats, voulussent-ils ensuite les abroger, ne le pourraient pas. Ajoutez encore les considérations que nous avons déduites de l’histoire des Hébreux, chapitre XVIII, remarque II, et enfin tous les sophismes qui se sont élevés dans le sein de l’Église par cette seule raison que les magistrats ont voulu étouffer sous l’action des lois les controverses des docteurs. C’est qu’en effet, si les hommes n’espéraient mettre les lois et les magistrats de