Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/394

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vu, peut lui en accorder. J’en conviens volontiers, cette liberté pourra être l’origine de quelques inconvénients ; mais où est l’institution si sagement conçue qui ne soit l’origine de quelque inconvénient ? Vouloir tout soumettre à l’action des lois, c’est irriter le vice plutôt que le corriger. Ce qu’on ne saurait empêcher, il faut le permettre, malgré les abus qui en sont souvent la suite. Que de maux ont leur origine dans le luxe, la jalousie, l’avarice, l’ivrognerie et autres mauvaises passions ! On les supporte, cependant, parce que les lois n’ont pas de moyen de les réprimer, bien que ce soient des vices réels ; à plus forte raison faut-il permettre la liberté de la pensée qui est une vertu et qu’on ne saurait étouffer. Ajoutez qu’elle ne donne lieu à aucun inconvénient que les magistrats, avec l’autorité dont ils sont revêtus, ne puissent facilement éviter, comme je le montrerai tout à l’heure. Je ne ferai pas même remarquer que cette liberté de la pensée est absolument nécessaire au développement des sciences et des arts, lesquels ne sont cultivés avec succès et bonheur que par les hommes qui jouissent de toute la liberté et de toute la plénitude de leur esprit.

Mais admettons qu’il soit possible d’étouffer la liberté des hommes et de leur imposer le joug, à ce point qu’ils n’osent pas même murmurer quelques paroles sans l’approbation du souverain : jamais, à coup sûr, on n’empêchera qu’ils ne pensent selon leur libre volonté. Que suivra-t-il donc de là ? c’est que les hommes penseront d’une façon, parleront d’une autre, que par conséquent la bonne foi, vertu si nécessaire à l’État, se corrompra, que l’adulation, si détestable, et la perfidie seront en honneur, entraînant la fraude avec elles et par suite la décadence de toutes les bonnes et saines habitudes. Mais tant s’en faut qu’il soit possible d’amener les hommes à conformer leurs paroles à une injonction déterminée ; au contraire, plus on fait d’efforts pour leur ravir la liberté de parler, plus ils s’obstinent et résistent. Bien entendu que je ne parle pas des