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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/422

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dompté jusqu’aux passions mêmes et que l’homme gît languissant, ou encore dans les temples, parce qu’on n’y pense plus au commerce et au gain ; mais au forum et à la cour, où cette influence serait surtout nécessaire, elle ne se fait plus sentir. J’ai également montré que, si la raison peut beaucoup pour réprimer et modérer les passions, la voie qu’elle montre à l’homme est des plus ardues[1], en sorte que, s’imaginer qu’on amènera la multitude ou ceux qui sont engagés dans les luttes de la vie publique à régler leur conduite sur les seuls préceptes de la raison, c’est rêver l’âge d’or et se payer de chimères.

6. L’État sera donc très-peu stable, lorsque son salut dépendra de l’honnêteté d’un individu et que les affaires ne pourront y être bien conduites qu’à condition d’être dans des mains honnêtes. Pour qu’il puisse durer, il faut que les affaires publiques y soient ordonnées de telle sorte que ceux qui les manient, soit que la raison, soit que la passion les fasse agir, ne puissent être tentés d’être de mauvaise foi et de mal faire. Car peu importe, quant à la sécurité de l’État, que ce soit par tel ou tel motif que les gouvernants administrent bien les affaires, pourvu que les affaires soient bien administrées. La liberté ou la force de l’âme est la vertu des particuliers ; mais la vertu de l’État, c’est la sécurité.

7. Enfin, comme les hommes, barbares ou civilisés, s’unissent partout entre eux et forment une certaine société civile, il s’ensuit que ce n’est point aux maximes de la raison qu’il faut demander les principes et les fondements naturels de l’État, mais qu’il faut les déduire de la nature et de la condition commune de l’humanité ; et c’est ce que j’ai entrepris de faire au chapitre suivant.

  1. Voyez l’Éthique, part. 5, Scholie de la Propos. 42