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TRAITÉ

car les choses que nous savons par la lumière naturelle dépendent entièrement de la connaissance de Dieu et de ses éternels décrets[1] ; mais comme cette connaissance naturelle, appuyée sur les communs fondements de la raison des hommes, leur est commune à tous, le vulgaire en fait moins de cas ; le vulgaire, en effet, court toujours aux choses rares et surnaturelles, et il dédaigne les dons que la nature a faits à tous. C’est pourquoi, dès qu’il est question de connaissance prophétique, il exclut aussitôt la connaissance naturelle, bien qu’elle ait le même droit que toute autre, quelle qu’elle soit, à s’appeler divine. En effet, elle nous est comme dictée par la nature de Dieu, en tant que la nôtre en participe, et par les décrets divins ; et elle ne diffère de la connaissance que tout le monde appelle divine qu’en cet unique point, que celle-ci dépasse les limites qui arrêtent celle-là et ne peut avoir sa cause dans la nature humaine considérée en elle-même. Mais la connaissance naturelle, sous le rapport de la certitude, qu’elle implique toujours[2], et de la source d’où elle émane, c’est à savoir Dieu, ne le cède en rien à la connaissance prophétique. À moins qu’on ne pense (mais ce serait rêver et non penser) que les prophètes ont eu un corps humain et n’ont pas eu une âme humaine[3], et par conséquent que leur conscience et leurs sensations ont été d’une autre nature que les nôtres.

Mais quoique la science naturelle soit divine, il ne s’ensuit pas cependant que ceux qui l’enseignent soient autant de prophètes[4] ; car ils n’ont aucun avantage qui les élève au-dessus du reste des hommes, et ils n’enseignent rien que tout le monde ne puisse savoir et com-

  1. Voyez l’Éthique, Propos. 15 et 16, part. 1 ; Propos. 5 et 8, part. 2. — Nous avons pensé qu’il serait intéressant d’indiquer en cet endroit et dans toute la suite de la traduction du Théologico-politique les passages de l’Éthique où sont exposés et démontrés scientifiquement les principes que Spinoza se borne ici à invoquer, sans les établir.
  2. Voyez l’Éthique, Propos. 43, part. 2.
  3. Voyez l’Éthique, Propos. 11, 13, part. 2.
  4. Voyez les Notes de Spinoza, note 2.