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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

la voix, puisque Moïse lui-même ne vit jamais la face de Dieu (Exode, chap. xxxiii).

Je ne vois point dans l’Écriture que Dieu se soit servi d’autres moyens que de ceux-là pour se communiquer aux hommes, et par conséquent il n’en faut imaginer ni admettre aucun autre. Et bien qu’il soit aisé de comprendre que Dieu se puisse communiquer immédiatement aux hommes, puisque sans aucun intermédiaire corporel il communique son essence à notre âme, il est vrai néanmoins qu’un homme, pour comprendre par la seule force de son âme des vérités qui ne sont point contenues dans les premiers principes de la connaissance humaine et n’en peuvent être déduites, devrait posséder une âme bien supérieure à la nôtre et bien plus excellente. Aussi je ne crois pas que personne ait jamais atteint ce degré éminent de perfection, hormis Jésus-Christ, à qui furent révélés immédiatement, sans paroles et sans visions, ces décrets de Dieu qui mènent l’homme au salut. Dieu se manifesta donc aux apôtres par l’âme de Jésus-Christ, comme il avait fait à Moïse par une voix aérienne ; et c’est pourquoi l’on peut dire que la voix du Christ, comme la voix qu’entendait Moïse, était la voix de Dieu. On peut dire aussi dans ce même sens que la sagesse de Dieu, j’entends une sagesse plus qu’humaine, s’est revêtue de notre nature dans la personne de Jésus-Christ, et que Jésus-Christ a été la voie du salut.

Je dois avertir ici que je ne prétends ni soutenir ni rejeter les sentiments de certaines Églises touchant Jésus-Christ ; car j’avoue franchement que je ne les comprends pas[1]. Tout ce que j’ai soutenu jusqu’à ce moment, je l’ai tiré de l’Écriture elle-même ; car je n’ai lu en aucun endroit que Dieu ait apparu à Jésus-Christ ou qu’il lui ait parlé, mais bien que Dieu s’est manifesté par

  1. Spinoza s’exprime plus ouvertement encore dans une lettre à Oldenburg : « Non minus absurde mihi loqui videntur quam si quis mihi diceret quod circulus naturam quadrati induerit. » (voyez Lettres de Spinoza. Lettre V.)