Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/100

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C’est un ogre lascif qui dans ses bras infâmes
À son repaire affreux porte sept jeunes femmes;
Renaud de Montauban, illustre paladin,
Le suit l’épëe au poing; lui, d’un air de dédain,
Le regarde d’en haut; son œil sanglant et louche,
Son crâne chauve et plat, son nez rouge, sa bouche
Qui ricane et s’entr’ouvre ainsi qu’un gouffre noir,
Le rendent de tout point très singulier à voir;
Surprises dans le bain, les sept femmes sont nues,
Leurs contours veloutés, leurs formes ingénues
Et leur coloris frais comme un rêve au printemps,
Leurs cheveux en désordre et sur leurs cous flottants,
La terreur qui se peint dans leurs yeux pleins de larmes,
Me paraissent vraiment admirables; les armes
Du paladin Renaud, faites d’acier bruni,
Étoilé de clous d’or, sont du plus beau fini:
Un panache s’agite au cimier de son casque,
D’un dessin à la fois élégant et fantasque,
Sa visière est levée, et sur son corselet
Un rayon de soleil jette un brillant reflet.
Mais à ce tableau plein d’inventions heureuses
Je préfère pourtant ses petites baigneuses,
Vrai chef-d’œuvre de grâce et de naïveté,
Où la jeunesse brille avec son velouté.
Après viendront en foule anciens peintres de Rome:
Pérugin, Raphaël, homme au-dessus de l’homme;
De Florence, de Parme et de Venise aussi,
Véronèse, Titien, Léonard de Vinci,
Michel-Ange, Annibal Carrache, le Corrége,
Et d’autres plus nombreux que les flocons de neige
Qui s’entassent l’hiver au front des Apennins;
D’autres auprès de qui nous sommes tous des nains
Et dont la gloire immense, en vieillissant doublée,
Fait tomber les crayons de notre main troublée.