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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/105

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La lourde artillerie et les fourgons pesants
Ne creusent plus la route en profondes ornières ;
On ne voit plus flotter les poudreuses bannières
Par-dessus les fusils au soleil reluisants ;
Sous les pieds des soldats courant à la maraude,
Sainfoins à rouges fleurs, prés couleur d’émeraude,
Blés jaunes à flots d’or au gré des vents roulés,
Comme sous un fléau ne meurent plus foulés.

Aux branches des tilleuls, aux pignons des tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.

Cavaliers, fantassins, l’un sur l’autre entassés,
De leurs membres pétris dans le sang et la boue
Par le fer d’un cheval ou l’orbe d’une roue,
Jonchent le sol parmi les affûts fracassés,
Et vers le champ de mort en immenses volées,
Du creux des rocs, du haut des flèches dentelées,
De l’est et de l’ouest, du nord et du midi,
L’essaim des noirs corbeaux se dirige agrandi.

Aux branches des tilleuls, aux pignons des tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.

Dans les bois, les vieux loups par trois fois ont hurlé,
Levant leur tête grise à l’odeur de la proie ;
L’œil fauve des vautours a flamboyé de joie
À l’ombre étincelant comme un phare étoilé,
Et, poussant vers le ciel des clameurs funéraires,
À leurs petits béants sur le bord de leurs aires
Longtemps ils ont porté quelque sanglant lambeau
De ces corps lacérés et restés sans tombeau.

Aux branches des tilleuls, aux pignons des tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.