Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/137

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L’idole du matin n’est pas celle du soir,
Et toute jeune fille est comme son miroir,
Qui reçoit chaque image et n’en conserve aucune.
— Puis un amour âgé de trois ans importune ;
C’est presque un mariage; un jour, avec l’ennui
Vient la réflexion ; l’amour s’en va. — Celui
Qui jadis à vos yeux était plus que vous-même,
Celui qui le premier vous avait dit: « Je t’aime! »
N’est plus pour vous qu’un nom dont le vain souvenir
Contre un amour nouveau ne peut longtemps tenir ;
Ce nom, qui résonnait naguère à votre oreille
Aussi doux que la voix du rossignol, n’éveille
Au fond de votre cœur, de sa faute confus,
Qu’un sentiment cruel du bonheur qu’il n’a plus ;
Et comme pour deux noms l’âme n’a pas de place,
L’ancien est rejeté. Lettre à lettre il s’efface
Ainsi que le ci-git d’un tombeau sous les pas
De la foule qui chante et ne l’aperçoit pas.
— Le cœur qui n’aime plus a si peu de mémoire !
On rougit de l’amour dont on se faisait gloire,
Le temps coule, et bientôt on arrive à ce point
De dire en le voyant : « Je ne le connais point. »
Qu’y faire ? Ramener son manteau sur sa plaie,
Et sous un rire faux cacher sa douleur vraie,
Dévorer par orgueil les larmes de ses yeux,
Et déchu du bonheur, déshérité des cieux,
Incapable à jamais d’un élan grandiose,
De toute sa hauteur descendre dans la prose,
Comme l’aigle blessé qui, sanglant, sur le sol
Tombe, ne fermant pas la courbe de son vol.
Me défiant de moi, malade de l’absence,
Ne vivant qu’à demi, voilà ce que je pense.
Si tu ne m’aimais plus, oh! ce serait ma mort :
Mais tu m’aimes toujours, n’est-ce pas ? et j’ai tort !