Votre convoi muet, comme ceux des athées,
Sur le triste chemin rampera dans la nuit ;
Vos cendres sans honneur seront au vent jetées.
La pierre qui s’abîme en tombant fait son bruit ;
Mais vous, vous tomberez sans que l’onde s’émeuve,
Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit.
Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve,
Nul ne s’apercevra que vous soyez absents,
Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve.
Et le chaste secret du rêve de vos ans
Périra tout entier sous votre tombe obscure
Où rien n’attirera le regard des passants.
Que voulez-vous ? hélas ! notre mère Nature,
Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés,
Et pour les malvenus elle est avare et dure.
Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés !
L’occasion leur est toujours bonne et fidèle :
Ils trouvent au désert des palais enchantés,
Ils tettent librement la féconde mamelle ;
La chimère à leur voix s’empresse d’accourir,
Et tout l’or du Pactole entre leurs doigts ruisselle.
Les autres, moins aimés, ont beau tordre et pétrir
Avec leurs maigres mains la mamelle tarie,
Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir.
S’il éclôt quelque chose au milieu de leur vie,
Une petite fleur sous leur pâle gazon,
Le sabot du vacher l’aura bientôt flétrie.
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