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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/224

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Un rayon de soleil brille à leur horizon,
Il fait beau dans leur âme ; à coup sûr, un nuage
Avec un flot de pluie éteindra le rayon.

L’espoir le mieux fondé, le projet le plus sage,
Rien ne leur réussit ; tout les trompe et leur ment.
Ils se perdent en mer sans quitter le rivage.

L’aigle, pour le briser, du haut du firmament,
Sur leur front découvert lâchera la tortue,
Car ils doivent périr inévitablement.

L’aigle manque son coup ; quelque vieille statue,
Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi,
Quitte son piédestal, les écrase et les tue.

Le cœur qu’ils ont choisi ne garde pas sa foi ;
Leur chien même les mord et leur donne la rage ;
Un ami jurera qu’ils ont trahi le roi.

Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ;
D’un bout du monde à l’autre ils courent à leur mort ;
Ils auraient pu du moins s’épargner le voyage !

Si dur qu’il soit, il faut qu’ils remplissent leur sort ;
Nul n’y peut résister, et le genou d’Hercule
Pour un pareil athlète est à peine assez fort.

Après la vie obscure, une mort ridicule ;
Après le dur grabat, un cercueil sans repos
Au bord d’un carrefour où la foule circule.

Ils tombent inconnus de la mort des héros,
Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille,
Se fait effrontément un socle de leurs os.