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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/226

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Le néant a des lits et des ombrages frais.
La mort fait mieux dormir que son frère Morphée,
Et les pavots devraient jalouser les cyprès.

Sous la cendre à jamais, dors, ô flamme étouffée
Orgueil, courbe ton front jusque sur tes genoux,
Comme un Scythe captif qui supporte un trophée.

Cesse de te raidir contre le sort jaloux,
Dans l’eau du noir Léthé plonge de bonne grâce,
Et laisse à ton cercueil planter les derniers clous.

Le sable des chemins ne garde pas ta trace,
L’écho ne redit pas ta chanson, et le mur
Ne veut pas se charger de ton ombre qui passe.

Pour y graver un nom ton airain est bien dur,
Ô Corinthe ! et souvent, froide et blanche Carrare,
Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur.

Il faut un grand génie avec un bonheur rare
Pour faire jusqu’au ciel monter son monument,
Et de ce double don le destin est avare.

Hélas ! et le poète est pareil à l’amant,
Car ils ont tous les deux leur maîtresse idéale,
Quelque rêve chéri caressé chastement :

Eldorado lointain, pierre philosophale
Qu’ils poursuivent toujours sans l’atteindre jamais,
Un astre impérieux, une étoile fatale.

L’étoile fuit toujours, ils lui courent après ;
Et, le matin venu, la lueur poursuivie,
Quand ils la vont saisir, s’éteint dans un marais.