Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/233

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J’aimerais que ce fût dans une roche creuse,
Au penchant d’une côte escarpée et pierreuse,
Comme dans les tableaux de ’’Salvator Rosa’’,
Où le pied d’un vivant jamais ne se posa ;
Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves,
Dans des terrains galeux clairsemés d’arbres chauves,
Avec un horizon sans couronne d’azur,
Bornant de tous côtés le regard comme un mur,
Et dans les roseaux secs près d’une eau noire et plate
Quelque maigre héron debout sur une patte.
Sur la caverne, un pin, ainsi qu’un spectre en deuil
Qui tend ses bras voilés au-dessus d’un cercueil,
Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte
Un maigre filet d’eau suintant goutte à goutte,
Marquerait par sa chute aux sons intermittents
Le battement égal que fait le cœur du temps.
Comme la Niobé qui pleurait sur la roche,
Jusqu’à ce que le lierre autour de moi s’accroche,
Je demeurerais là les genoux au menton,
Plus ployé que jamais, sous l’angle d’un fronton,
Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ;
Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ;
Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras,
Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras.

C’est là ce qu’il me faut plutôt qu’un monastère ;
Un couvent est un port qui tient trop à la terre ;
Ma nef tire trop d’eau pour y pouvoir entrer
Sans en toucher le fond et sans s’y déchirer.
Dût sombrer le navire avec toute sa charge,
J’aime mieux errer seul sur l’eau profonde et large.
Aux barques de pêcheur l’anse à l’abri du vent,
Aux simples naufragés de l’âme, le couvent.
À moi la solitude effroyable et profonde,
Par dedans, par dehors !