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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/234

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Par dedans, par dehors !Un couvent, c’est un monde ;
On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit :
La mort n’est que le seuil d’une autre vie ; on voit
Passer au long du cloître une forme angélique ;
La cloche vous murmure un chant mélancolique ;
La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus
Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus
De vos fronts inclinés, comme un essaim d’abeilles,
Volent les Chérubins en légions vermeilles.
Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour,
À l’escalier du ciel vous montez chaque jour ;
L’extase vous remplit d’ineffables délices,
Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ;
Vous marchez entourés de célestes rayons
Et vos pieds après vous laissent d’ardents sillons !

Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître,
Qui passez votre vie à voir s’ouvrir et croître
Dans le jardin fleuri de la mysticité,
Les pétales d’argent du lis de pureté,
Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales,
Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles,
Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés,
Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés
Senti des voluptés comparables aux vôtres !
Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres !
Quel amant a jamais, à l’âge où l’œil reluit,
Dans tout l’enivrement de la première nuit,
Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme,
Et baisé les pieds nus de la plus belle femme
Avec la même ardeur que vous les pieds de bois
Du cadavre insensible allongé sur la croix !