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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/235

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Quelle bouche fleurie et d’ambroisie humide,
Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide !
Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin,
Dans un calice d’or perle le sang divin ;
Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes,
Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes,
Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux
Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux,
Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze :
Nous n’avons que l’ivresse et vous avez l’extase.
Nous, nos contentements dureront peu de jours,
Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours.
Calculateurs prudents, pour l’abandon d’une heure,
Sur une terre où nul plus d’un jour ne demeure,
Vous achetez le ciel avec l’éternité.
Malgré ta règle étroite et ton austérité,
Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes
S’entr’ouvrent à l’amour comme des fleurs nocturnes,
Une tête de mort grimaçante pour nous
Sourit à leur chevet du rire le plus doux ;
Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière,
Ils jeûnent et n’ont pas d’autre lit qu’une bière,
Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc,
Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ;
Ils se baignent aux flots de l’océan de joie,
Et sous la volupté leur âme tremble et ploie,
Comme fait une fleur sous une goutte d’eau,
Ils sont dignes d’envie et leur sort est très-beau ;
Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule
Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle,
Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ,
Croire que tout s’est fait comme il était écrit.
Il en est qui n’ont pas le don des saintes larmes,
Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;