Aller au contenu

Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il a touché le fond de tout savoir humain ;
Mais comme il a toujours, au bout de tout chemin,
Trouvé les mêmes yeux qui flamboyaient dans l’ombre,
Qu’il a monté l’échelle aux échelons sans nombre,
Il est triste ; et son chien, de le suivre lassé,
Dort à côté de lui, tout vieux et tout cassé.
Dans le fond du tableau, sur l’horizon sans borne,
Le vieux père Océan lève sa face morne,
Et dans le bleu cristal de son profond miroir,
Réfléchit les rayons d’un grand soleil tout noir.
Une chauve-souris, qui d’un donjon s’envole,
Porte écrit dans son aile ouverte en banderolle :
MÉLANCOLIE. Au bas, sur une meule assis,
Est un enfant dont l’œil, voilé sous de longs cils,
Laisse le spectateur dans le doute s’il veille,
Ou si, bercé d’un rêve, en lui-même il sommeille.
Voilà comme Durer, le grand maître allemand,
Philosophiquement et symboliquement,
Nous a représenté, dans ce dessin étrange,
Le rêve de son cœur sous une forme d’ange.
Notre mélancolie, à nous, n’est pas ainsi ;
Et nos peintres la font autrement. La voici :
—C’est une jeune fille et frêle et maladive,
Penchant ses beaux yeux bleus au bord de quelque rive,
Comme un wergeis-mein-nicht que le vent a courbé ;
Sa coiffure est défaite, et son peigne est tombé,
Ses blonds cheveux épars coulent sur son épaule,
Et se mêlent dans l’onde aux verts cheveux du saule ;
Les larmes de ses yeux vont grossir le ruisseau,
Et troublent, en tombant, sa figure dans l’eau.
La brise à plis légers fait voler son écharpe,
Et vibrer en passant les cordes de sa harpe ;
Un album, un roman près d’elle sont ouverts :
Car la mode la suit jusque dans ses déserts.