Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/253

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Notre Mélancolie est petite-maîtresse,
Elle prend des grands airs, elle fait la princesse ;
Elle met des gants blancs et des chapeaux d’Herbault ;
Elle est née, et ne voit que des gens comme il faut ;
Son groom ne pèse pas plus de soixante livres ;
C’est une Philaminte, elle lit tous les livres,
Cause fort bien musique, et peinture pas mal ;
Elle suit l’Opéra, ne manque pas un bal ;
Poitrinaire tout juste assez pour être artiste,
Elle a toujours en main un mouchoir de batiste.
On ne la verra pas enterrer tristement
Dans quelque Sierra son teint pâle et charmant,
Ses grâces de malade et ses petites mines ;
Ni sous les noirs arceaux d’un couvent en ruines,
Promener loin du bruit ses méditations :
Il faut à ses douleurs la rampe et les lampions,
Il faut que les journaux en puissent rendre compte ;
Chaque pleur de ses yeux se cristallise en conte ;
Avec chaque soupir elle souffle un roman ;
Elle meurt ; mais ce n’est que littérairement.
Un frais cottage anglais, voilà sa Thébaïde ;
Et si son front de nacre est coupé d’une ride,
Ce n’est pas, croyez-moi, qu’elle songe à la mort :
Pour craindre quelque chose elle est trop esprit fort.
Mais c’est que de Paris une robe attendue
Arrive chiffonnée et de taches perdue.
Ah ! quelle différence, et que près de ces vieux
Nous paraissons mesquins ! Le sang de nos aïeux,
Comme un vin qui s’aigrit s’est tourné dans nos veines ;
Rien ne vit plus en nous, nos amours et nos haines
Sont de pâles vieillards sans force et sans vigueur,
Chez qui la tête semble avoir pompé le cœur.
La passion est morte avec la foi ; la terre
Accomplit dans le ciel sa ronde solitaire,