Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/279

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Un air de tête heureux, une forme de jambe,
Un reflet qui miroite, une flamme qui flambe,
Il ne leur faut pas plus pour les faire contents.
Qu’importent à ceux-là les affaires du temps
Et le grave souci des choses politiques ?
Quand ils ont vu quels plis font vos blanches tuniques,
Et comment sont coupés vos cheveux blonds ou bruns,
Que leur font vos discours, magnanimes tribuns ?
Vos discours sont très beaux, mais j’aime mieux des roses.
Les antiques Vénus, aux gracieuses poses,
Que l’on voit, étalant leur sainte nudité,
Réaliser en marbre un rêve de beauté,
Ont plus fait, à mon sens, pour le bonheur du monde,
Que tous ces vains travaux où votre orgueil se fonde ;
Restez assis plutôt que de perdre vos pas.
Le lis ne file pas et ne travaille pas ;
Il lui suffit d’avoir la blancheur éclatante,
Il jette son parfum, et cela le contente ;
Dans sa coupe il réserve aux voyageurs du ciel
Une perle de pluie, une goutte de miel,
Et la sylphide, au bal d’Obéron invitée,
Se taille dans sa feuille une robe argentée.
Qui de vous osera lui dire : « Paresseux ! »
Parce qu’il ne fait pas de chemises pour ceux
Qui, grelottant de froid et les chairs toutes rouges,
Se cachent en hiver sous la paille des bouges,
Et qu’il ne pétrit pas de ses doigts blancs du pain
À tous les malheureux qui vont criant la faim ?
Qui donc dira cela, que toute chose belle,
Femme, musique ou fleur, ne porte pas en elle
Et son enseignement et sa moralité ?
Comment pourrons-nous croire à la Divinité
Si nous n’écoutons pas le rossignol qui chante,
Si nous n’en voyons pas une preuve touchante