Aller au contenu

Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ne faites pas sortir le tonnerre des Gracques
D’une bouche formée aux chants élégiaques ;
Laissez cette besogne aux orateurs braillards,
Qui, le pied sur la borne et les cheveux épars,
Jurent à six gredins, tout grouillants de vermine,
Qu’ils ont vraiment sauvé Rome de la ruine.
Rome se sauvera toute seule très bien ;
Ses destins sont écrits, et nous n’y ferons rien.
Qui pourrait enrayer la fortune et sa roue ?
Que le char de l’État s’enfonce dans la boue,
Ou, par les rangs pressés de ce bétail humain,
S’ouvre, en les écrasant, un plus large chemin,
Nous trouverons toujours dans l’ombre et sur la mousse
Quelque petit sentier, par une pente douce,
Regagnant le sommet d’un coteau séparé,
D’où l’œil se perd au fond d’un lointain azuré,
Et nous attendrons là que notre jour arrive,
Voyant de haut la mer se briser à la rive
Et les vaisseaux là-bas palpiter sous le vent.
La Mort n’a pas besoin que l’on aille au-devant ;
Marchands, hommes de guerre, orateurs et poètes,
La Mort, de tout cela, fait de pareils squelettes ;
Pour sa gerbe elle prend l’épi comme la fleur,
Et ne respecte rien, ni forme ni couleur ;
Elle va, du coupant de sa courbe faucille,
Jetant bas le vieillard avec la jeune fille ;
Elle fauche le champ de l’un à l’autre bout,
Et dans son grenier noir elle serre le tout.
À quoi bon s’efforcer jusques à perdre haleine,
Courir à droite, à gauche, et prendre tant de peine,
Quand peut-être le fer, près de notre sillon,
Se balance et fait luire un sinistre rayon ?
Quelle chose est utile en ce monde où nous sommes ?
Et, quand la vieille a mis en tas ses gerbes d’hommes,