Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/282

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Et diriez volontiers : « Silence ! » au rossignol.
Le front tout soucieux et penché vers le sol,
Vous passez sans répondre au gai salut des merles.
Où donc est-il, ce temps où vous comptiez les perles
Et les beaux diamants aux éclairs diaprés
Que répand le matin sur le velours des prés ?
Avec un soin plus grand que pour des pierres fines,
Vous enleviez aux fleurs les gouttes argentines ;
Vous preniez pour cordon un brin de ce fil blanc
Que la Vierge des cieux laisse choir en filant,
Et vous en composiez, enfantines merveilles,
Des colliers à trois rangs et des pendants d’oreilles.
Quel crime ont donc commis ces chers coquelicots,
Qui, passant leur front rouge entre les blés égaux,
Au revers du sillon, de leurs petites langues,
Vous faisaient autrefois de si belles harangues ?
De votre négligence ils sont tout attristés
Et se plaignent au vent de n’être plus chantés.
C’est en vain que juillet les convie à sa fête :
Ainsi que des vieillards ils vont courbant la tête,
Et s’ils pouvaient noircir ils se mettraient en deuil.
Les bluets désolés ont tous la larme à l’œil,
Car ils vous pensent mort et ne peuvent pas croire
Que vous avez perdu si vite la mémoire
Des entretiens naïfs et des charmants amours
Que vous aviez ensemble au midi des beaux jours !
Ami, vous étiez fait pour chanter sous le hêtre,
Comme le doux berger que Mantoue a vu naître,
La blonde Amaryllis en couplets alternés.
De sauvages odeurs vos vers tout imprégnés
Sentent le serpolet, le thym et la frambroise ;
À vos molles chansons le bouvreuil s’apprivoise
Et, tout émerveillé, du sommeil des ormeaux
Descend de branche en branche et vient sur vos pipeaux.