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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/290

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Ce qui fut moi jadis m’apparaît : silhouette
Qui ne ressemble plus au moi qu’elle répète ;
Portrait sans modèle aujourd’hui ;
Spectre dont le cadavre est vivant ; ombre morte
Que le passé ravit au présent qu’il emporte ;
Reflet dont le corps s’est enfui.

J’hésite en me voyant devant moi reparaître,
Hélas ! et j’ai souvent peine à me reconnaître
Sous ma figure d’autrefois,
Comme un homme qu’on met tout à coup en présence
De quelque ancien ami dont l’âge et dont l’absence
Ont changé les traits et la voix.

Tant de choses depuis, par cette pauvre tête,
Ont passé ! dans cette âme et ce cœur de poète,
Comme dans l’aire des aiglons,
Tant d’œuvres que couva l’aile de ma pensée
Se débattent, heurtant leur coquille brisée
Avec leurs ongles déjà longs !

Je ne suis plus le même : âme et corps, tout diffère,
Hors le nom, rien de moi n’est resté ; mais qu’y faire ?
Marcher en avant, oublier.
On ne peut sur le temps reprendre une minute,
Ni faire remonter un grain après sa chute
Au fond du fatal sablier.

La tête de l’enfant n’est plus dans cette tête
Maigre, décolorée, ainsi que me l’ont faite
L’étude austère et les soucis.
Vous n’en trouveriez rien sur ce front qui médite
Et dont quelque tourmente intérieure agite
Comme deux serpents les sourcils.