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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/291

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Ma joue était sans plis, toute rose, et ma lèvre
Aux coins toujours arqués riait ; jamais la fièvre
N’en avait noirci le corail.
Mes yeux, vierges de pleurs, avaient des étincelles
Qu’ils n’ont plus maintenant, et leurs claires prunelles
Doublaient le ciel dans leur émail.

Mon cœur avait mon âge, il ignorait la vie,
Aucune illusion, amèrement ravie,
Jeune, ne l’avait rendu vieux ;
Il s’épanouissait à toute chose belle,
Et dans cette existence encor pour lui nouvelle,
Le mal était bien, le bien, mieux.

Ma poésie, enfant à la grâce ingénue,
Les cheveux dénoués, sans corset, jambe nue,
Un brin de folle avoine en main,
Avec son collier fait de perles de rosée,
Sa robe prismatique au soleil irisée,
Allait chantant par le chemin.

Et puis l’âge est venu qui donne la science :
J’ai lu Werther, René, son frère d’alliance,
Ces livres, vrais poisons du cœur,
Qui déflorent la vie et nous dégoûtent d’elle,
Dont chaque mot vous porte une atteinte mortelle ;
Byron et son don Juan moqueur.

Ce fut un dur réveil : ayant vu que les songes
Dont je m’étais bercé n’étaient que des mensonges,
Les croyances, des hochets creux,
Je cherchai la gangrène au fond de tout, et, comme
Je la trouvai toujours, je pris en haine l’homme,
Et je devins bien malheureux.