Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ne demandera plus qu’à rentrer sous la terre
Pour dormir sans réveil dans son lit solitaire.
C’est le monde. Le cœur de l’homme est plein d’oubli :
C’est une eau qui remue et ne garde aucun pli.
L’herbe pousse moins vite aux pierres de la tombe
Qu’un autre amour dans l’âme, et la larme qui tombe
N’est pas séchée encor, que la bouche sourit,
Et qu’aux pages du cœur un autre nom s’écrit.

« Restons pour être aimés et pour qu’on se souvienne
Que nous sommes au monde ; il n’est amour qui tienne
Contre une longue absence : oh ! malheur aux absents !
Les absents sont des morts et, comme eux, impuissants.
Dès qu’aux yeux bien aimés votre vue est ravie,
Rien ne reste de vous qui prouve votre vie ;
Dès que l’on n’entend plus le son de votre voix,
Que l’on ne peut sentir le toucher de vos doigts,
Vous êtes mort ; vos traits se troublent et s’effacent
Au fond de la mémoire, et d’autres les remplacent.
Pour qu’on lui soit fidèle il faut que le ramier
Ne quitte pas le nid et vive au colombier ;
Restons au colombier. Après tout, notre France
Vaut bien ton Italie, et, comme dans Florence,
Rome, Naple ou Venise, on peut trouver ici
De beaux palais à voir et des tableaux aussi.
Nous avons des donjons, de vieilles cathédrales
Aussi haut que Saint-Pierre élevant leurs spirales ;
Notre-Dame tendant ses deux grands bras en croix,
Saint-Severin, dardant sa flèche entre les toits,
Et la Sainte-Chapelle aux minarets mauresques,
Et Saint-Jacques hurlant sous ses monstres grotesques ;
Nous avons de grands bois et des oiseaux chanteurs,
Des fleurs embaumant l’air de divines senteurs,
Des ruisseaux babillards dans de belles prairies