Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/306

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De ces frêles enfants, la terreur de leur mère,
Qui s’épuisent en vain à suivre leur chimère,
Combien déjà sont morts ! combien encor mourront !
Combien au beau moment, gloire, ô froide statue,
Gloire que nous aimons et dont l’amour nous tue,
Pâles, sur ton épaule ont incliné le front !

Ah ! chercher sans trouver et suer sur un livre,
Travailler, oublier d’être heureux et de vivre ;
Ne pas avoir une heure à dormir au soleil,
À courir dans les bois sans arrière-pensée ;
Gémir d’une minute au plaisir dépensée,
Et faner dans sa fleur son beau printemps vermeil ;

Jeter son âme au vent et semer sans qu’on sache
Si le grain sortira du sillon qui le cache,
Et si jamais l’été dorera le blé vert ;
Faire comme ces vieux qui vont plantant des arbres,
Entassant des trésors et rassemblant des marbres,
Sans songer qu’un tombeau sous leurs pieds est ouvert !

Et pourtant chacun n’a que sa vie en ce monde,
Et pourtant du cercueil la nuit est bien profonde ;
Ni lune, ni soleil : c’est un sommeil bien long ;
Le lit est dur et froid ; les larmes que l’on verse,
La terre les boit vite, et pas une ne perce,
Pour arriver à vous, le suaire et le plomb.

Dieu nous comble de biens ; notre mère Nature
Rit amoureusement à chaque créature ;
Le spectacle du ciel est admirable à voir ;
La nuit a des splendeurs qui n’ont pas de pareilles ;
Des vents tout parfumés nous chantent aux oreilles :
« Vivre est doux, et pour vivre il ne faut que vouloir. »