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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/305

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Dédain
1833



Une pitié me prend quand à part moi je songe
À cette ambition terrible qui nous ronge
De faire parmi tous reluire notre nom,
De ne voir s’élever par-dessus nous personne,
D’avoir vivant encor le nimbe et la couronne,
D’être salué grand comme Gœthe ou Byron.

Les peintres jusqu’au soir courbés sur leurs palettes,
Les Amphions frappant leurs claviers, les poètes,
Tous les blêmes rêveurs, tous les croyants de l’art,
Dans ces noms éclatants et saints sur tous les autres,
Prennent un nom pour Dieu, dont ils se font apôtres,
Un de vos noms, Shakspear, Michel-Ange ou Mozart  !

C’est là le grand souci qui tous, tant que nous sommes,
Dans cet âge mauvais, austères jeunes hommes,
Nous fait le teint livide et nous cave les yeux ;
La passion du beau nous tient et nous tourmente,
La sève sans issue au fond de nous fermente,
Et de ceux d’aujourd’hui bien peu deviendront vieux.