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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/323

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Sans doute que c’était l’œuvre d’un Allemand,
D’un élève d’Holbein, mort bien obscurément,
A vingt ans, de misère et de mélancolie,
Dans quelque bourg de Flandre, au retour d’Italie ;
Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair,
Un rêve de soleil par une nuit d’hiver.

Je restai bien longtemps dans la même posture,
Pensif, à contempler cette pâle peinture ;
Je regardais le Christ sur son infâme bois,
Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ;
Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées,
Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées,
La blessure livide et béante à son flanc ;
Son front d’ivoire où perle une sueur de sang ;
Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles,
Me faisaient naître au cœur des pitiés nompareilles,
Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs,
Comme dut en verser la Mère de Douleurs.
Dans l’outremer du ciel les chérubins fidèles,
Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes,
Et l’un d’eux recueillait, un ciboire à la main,
Le pur sang de la plaie où boit le genre humain ;
La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère
Son divin fils en proie à l’agonie amère ;
Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix
Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix,
Plus dégouttants de pleurs qu’après la pluie un arbre,
Étaient debout, pareils à des piliers de marbre.

C’était, certe, un spectacle à faire réfléchir,
Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir
Sous le vent que faisait l’aile de ma pensée,
Avec le chant du soir, vers le ciel élancée.