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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/324

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Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein,
Et je pris mon menton dans le creux de ma main,
Et je me dis : « O Christ ! tes douleurs sont trop vives ;
Après ton agonie au jardin des Olives,
Il fallait remonter près de ton père, au ciel,
Et nous laisser à nous l’éponge avec le fiel ;
Les clous percent ta chair, et les fleurons d’épines
Entrent profondément dans tes tempes divines.
Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort
Recule épouvantée à ce sublime effort ;
Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre,
Sachant qu’après trois jours il la lui faudra rendre,
Et qu’un ange viendra, qui, radieux et beau,
Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ;
Mais tu n’en as pas moins souffert ton agonie,
Adorable victime entre toutes bénie ;
Mais tu n’en a pas moins avec les deux voleurs,
Étendu tes deux bras sur l’arbre de douleurs.

O rigoureux destin ! une pareille vie,
D’une pareille mort si promptement suivie !
Pour tant de maux soufferts, tant d’absynthe et de fiel,
Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ?
La parole d’amour pour compenser l’injure,
Et la bouche qui donne un baiser par blessure ?
Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé,
Pour nous bénir encor de se sentir aimé,
Et tu n’as pas, Jésus, traversé cette terre,
N’ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire
Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin
Sans avoir une épaule où reposer ta main,
Sans une âme choisie où répandre avec flamme
Tous les trésors d’amour enfermés dans ton âme.

Ne vous alarmez pas, esprits religieux,