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Le Thermodon



I



J’ai, dans mon cabinet, une bataille énorme,
Qui s’agite et se tord comme un serpent difforme
Et dont l’étrange aspect arrête l’œil surpris ;
On dirait qu’on entend, avec un sourd murmure,
La gravure sonner comme une vieille armure,
Et le papier muet semble jeter des cris.

Un pont par où se rue une foule en démence,
Arc-en-ciel de carnage, ouvre sa courbe immense
Et d’un cadre de pierre entoure le tableau ;
À travers l’arche, on voit une ville enflammée,
D’où montent, en tournant, de longs flots de fumée
Dont le rouge reflet brille et tremble sur l’eau.

Une barque, pareille à la barque des ombres,
Glisse sinistrement au dos des vagues sombres,
Portant, triste fardeau, des vaincus et des morts ;
Une averse de sang pleut des têtes coupées ;
Des mains, par l’agonie éperdument crispées,
Avec leurs doigts noueux s’accrochent à ses bords.