Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/372

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Élégie



J’ai fait une remarque hier en te quittant.
Sans doute j’ai mal vu ; mais quand on aime tant
On a peur ; on se fait avec la moindre chose
Un sujet de tourments. On veut savoir la cause
De chaque effet. Un mot, un geste, une ombre, un rien,
La plus folle chimère, un souvenir ancien
Qui dormait dans un coin du cœur et qui s’éveille,
Tout vous effraie. On dit qu’infortune pareille
Ne s’est pas encor vue et que l’on en mourra ;
L’on n’en meurt pas ; demain peut-être on en rira.
Vous veniez pour vous plaindre : un baiser, un sourire,
Et vous ne savez plus ce que vous veniez dire.
Quand tu liras ces vers, sans doute tu diras
Que mon idée est folle et tu m’embrasseras ;
Et puis, j’oublierai tout, excepté que je t’aime
Et que je t’aimerai toujours. Fais-en de même.
Or, voici ma remarque ; il m’a semblé cela.
Je voudrais oublier toutes ces choses-là ;
Mais je ne puis. Hier tu paraissais distraite,
Et ce n’est pas ainsi, certes, que Juliette
Laisse aller Roméo qui part. En ce moment
Où mon âme pâmée à chaque embrassement