Vous débouchez enfin sur une plate-forme,
Et vous apercevez, ainsi qu’un monstre énorme,
La Cité grommelante, accroupie alentour.
Comme un requin, ouvrant ses immenses mâchoires,
Elle mord l’horizon de ses mille dents noires,
Dont chacune est un dôme, un clocher, une tour.
À travers le brouillard, de ses naseaux de plâtre
Elle souffle dans l’air son haleine bleuâtre,
Que dore par flocons un chaud reflet de jour.
Comme sur l’eau qui bout monte et chante l’écume,
Sur la ville toujours plane une ardente brume,
Un bourdonnement sourd fait de cent bruits confus :
Ce sont les tintements et les grêles volées
Des cloches, de leurs voix sonores ou fêlées,
Chantant à plein gosier dans leurs beffrois touffus ;
C’est le vent dans le ciel et l’homme sur la terre ;
C’est le bruit des tambours et des clairons de guerre,
Ou des canons grondeurs sonnant sur leurs affûts ;
C’est la rumeur des chars, dont la prompte lanterne
File comme une étoile à travers l’ombre terne,
Emportant un heureux aux bras de son désir ;
Le soupir de la vierge au balcon accoudée,
Le marteau sur l’enclume et le fait sur l’idée,
Le cri de la douleur ou le chant du plaisir.
Dans cette symphonie au colossal orchestre,
Que n’écrira jamais musicien terrestre,
Chaque objet fait sa note impossible à saisir.
Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/383
Apparence
Cette page n’a pas encore été corrigée