Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et pour voir son corps vénéré,
Tous les ans, au jour consacré,
À San-Pedro la foule abonde.
— Une fois, que la nef profonde
Était déserte, et qu’au saint lieu
Le Cid, resté seul avec Dieu,
Rêvait dans son tombeau sans garde,
Un juif arrive et le regarde,
Et parlant en soi-même ainsi,
Il se dit tout pensif : — « Ceci
Est le corps du Cid, du grand homme,
Du vainqueur que partout on nomme !
On m’a raconté bien souvent
Que nul n’eût osé, lui vivant,
Se risquer dans cette entreprise
De toucher à sa barbe grise.
Maintenant, il gît morne et froid ;
Son bras, qui répandait l’effroi,
La mort le désarme et l’attache :
Je vais lui toucher la moustache,
Nous verrons s’il se fâchera
Et quelle mine il nous fera ;
Le monde est loin, rien ne m’empêche
De tirer à moi cette mèche. »
— Afin d’accomplir son dessein,
Le juif sordide étend la main…
Mais, avant que la barbe sainte
Par ses doigts crochus soit atteinte,
Le noble époux de Ximena,
À plein poing prenant Tisona,
Sort du fourreau deux pieds de lame…
Le juif, l’épouvante dans l’âme,
Tombe le front sur le pavé,
Et, par les moines relevé,