Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/159

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LE SOUPIR DU MORE



Ce
cavalier qui court vers la montagne,
Inquiet, pâle au moindre bruit,
C’est Boabdil, roi des Mores d’Espagne,
Qui pouvait mourir, et qui fuit !

Aux Espagnols Grenade s’est rendue ;
La croix remplace le croissant,
Et Boabdil pour sa ville perdue
N’a que des pleurs et pas de sang…

Sur un rocher nommé Soupir-du-More,
Avant d’entrer dans la sierra,
Le fugitif s’assit, pour voir encore
De loin Grenade et l’Alhambra :

« Hier, dit-il, j’étais calife ;
Comme un Dieu vivant adoré,
Je passais du Généralife
À l’Alhambra peint et doré !
J’avais, loin des regards profanes,
Des bassins aux flots diaphanes
Où se baignaient trois cents sultanes ;